Nous sommes à 5 minutes du début de l’émission et le minuscule studio de Shabab Radio est en pleine effervescence. Un incident technique de dernière minute menace le direct et l’angoisse se lit sur les visages de Tariq et Stéphanie, les 2 animateurs. Giannis, invité du jour et jeune entrepreneur grec, s’improvise technicien du son pour tenter de sauver la situation…
1 heure avant
C’est en arrivant à Athènes que j’entends parler de Shabab Radio, une toute jeune webradio, créée le 21 mai 2016. Son objectif ? Favoriser l’interaction interculturelle entre la communauté des réfugiés présents en Grèce et la population locale. Le concept a l’air génial, je décide donc de les contacter pour en savoir plus.
Rendez-vous est pris à « The Cube Athens », un immeuble de 5 étages au centre-ville qui abrite plusieurs jeunes start-ups grecques. C’est ici que je suis accueillie par Stéphanie, l’une des co-fondatrices de la webradio et jeune allemande de 25 ans.
La Grèce et elle, c’est une grande histoire d’amour qui a débuté il y a environ 9 ans par des petits boulots d’été sur les îles avant de se poursuivre par un Erasmus et un master en journalisme à Athènes. Une fois ses études terminées, elle trouve un emploi dans la capitale et décide de s’engager pendant son temps libre comme volontaire au port du Pirée. C’est là qu’elle rencontre Ahmed, un réfugié syrien de 32 ans originaire de Deir ez-Zor et interprète volontaire.
La jeune journaliste et l’ancien vendeur en informatique n’ont pas la même culture, ni la même histoire, et pourtant, ils deviennent vite inséparables. Ils décident alors de montrer que locaux et réfugiés ont bien plus en commun qu’ils ne peuvent le penser. Et pour ça, ils ont une idée : « Avec beaucoup de frontières fermées en Europe, des milliers d’entre eux sont condamnés à rester en Grèce. Il va falloir que nous apprenions à cohabiter tous ensemble. On a donc voulu créer une plateforme qui favorise l’échange interculturel grâce à des reportages, des débats et de la musique, tout en informant et donnant la parole à des réfugiés coincés dans des camps ou des foyers à Athènes ». Et pourquoi une radio ? « La plupart d’entre eux ont un smartphone et accès à internet, on s’est donc dit qu’une webradio était le médium idéal ». Lluis, développeur web espagnol et co-fondateur également, planche d’ailleurs sur une version du site internet qui soit davantage « mobile friendly ».
Shabab Radio, c’est pour eux la « radio de la nouvelle génération ». Et la leur, c’est la Y. C’est donc tout naturellement qu’ils se lancent dans l’aventure entrepreneuriale et remportent dans la foulée, l’édition grecque de Startup Weekend, un événement durant lequel les participants ont 54 heures pour créer un concept et le présenter à un jury. « Après, tout s’est enchaîné très vite. Les mentors de cette édition étant les propriétaires de « The Cube Athens », ils nous ont gratuitement mis à disposition un petit studio ainsi que du matériel non-utilisé, comme des enceintes, des micros et des écrans d’ordinateurs. On est vraiment fauchés tu sais, le seul truc qui ne nous ait pas été donné, c’est mon laptop ».
Lorsque nous arrivons dans le minuscule studio du 1er étage, Tariq est en train de relire ses notes, tout en vérifiant le montage des différentes interviews qu’il a réalisées la veille et qui seront diffusées dans le cadre de son reportage sur l’histoire du rap grec dans l’émission de ce soir. Tarik, il a 25 ans, une formation en archéologie et une réelle aversion pour Bachar el-Assad. Un jour l’armée toque à sa porte et le réquisitionne, alors il décide de quitter la Syrie. Il retrousse son jeans en me racontant son histoire pour me montrer sa cheville où l’impact d’une balle est encore visible. Arrivé en Grèce en mars, il espère que sa demande de relocalisation en Hollande, où l’un de ses cousins vit, sera acceptée. En attendant, ce rappeur en herbe s’investit à fond dans la préparation et présentation des émissions qui sont retransmises, pour l’instant, deux fois par semaine en anglais et en arabe. Shabab Radio, c’est aussi l’occasion rêvée pour lui de faire découvrir les talents de son pays. Ça tombe bien, mes connaissances en matière de rap syrien étant proches du néant, Tariq me fait écouter une chanson qu’il adore et sur laquelle Stéphanie et lui improvisent une petite danse.
30 minutes avant
Un appel Skype interrompt le joyeux duo. C’est Ahmed qui appelle depuis Saint-Sébastien, où il a été relocalisé depuis peu, pour répondre aux questions de la télévision grecque qui devait être présente dans les locaux ce jour-là et qui leur a finalement fait faux bond à la dernière minute. J’en profite donc pour lui faire un brin de causette pendant que Stéphanie et Tariq commencent à s’activer à mesure que l’heure du direct approche. Le courant passe rapidement entre nous et il me confie, dans un anglais impeccable, être très heureux dans son nouveau pays d’adoption mais qu’il n’oublie pas pour autant Stéphanie qui est « juste géniale », et encore moins Shabab Radio. Il continue en effet à s’investir dans le projet en interviewant, par exemple, d’autres réfugiés syriens, qui, comme lui, ont été relocalisés dans la péninsule ibérique. Mon regard croise celui de la jeune animatrice et je comprends qu’il est temps de raccrocher.
Nous sommes maintenant à 5 minutes du début de l’émission et le studio de Shabab Radio est en pleine effervescence. Un incident technique de dernière minute menace le direct et l’angoisse se lit sur les visages de Tariq et Stéphanie. Giannis, invité du jour et jeune entrepreneur grec, s’improvise technicien du son pour tenter de sauver la situation.
Kalispera, Shabab !
15 minutes plus tard, il semble avoir fait des miracles et Kalispera, Shabab! (Bonsoir les copains !) peut enfin commencer. Stéphanie, visiblement plus relax, lance le jingle du bulletin d’information durant lequel les deux animateurs abordent de façon très factuelle, aussi bien les attentats de Nice que le fait que les transports publics à Athènes ne sont pas gratuits pour les réfugiés. Ils informent également ces derniers, qui constituent la majorité de leurs auditeurs, que les irakiens ne sont désormais plus en mesure de déposer une demande de relocalisation en Europe. « C’est typiquement le genre d’infos qui intéressent les gens qui nous écoutent. Il est important pour nous de partager des éléments concrets, qui peuvent leur être utiles au quotidien », me confie Stéphanie.
Il est maintenant temps pour Tariq d’introduire son reportage, « Je me suis dit qu’il serait intéressant de demander à des jeunes dans la rue ce qu’ils connaissaient du rap grec et de son histoire. Et puis ça me permet ensuite à moi de leur en apprendre un peu plus sur le rap syrien. On échange et on discute, c’est cool ».
L’émission se termine avec l’interview en direct de Giannis, le jeune entrepreneur crétois, chez qui les 2 animateurs ont d’ailleurs prévu d’aller après l’émission pour un petit apéro improvisé.
Quant à moi, Il est bientôt temps que je m’en aille. Mais avant de partir, j’aimerais bien découvrir les talents de rappeur de Tariq, qui est apparemment très doué. Pour me faire plaisir, il choisit un beat et se lance dans une improvisation bluffante, dans laquelle il parle de « Bachar el-Assad et de ses parents d’une façon plutôt vulgaire ». Suffisamment en tout cas pour qu’il ne veuille pas la faire en direct « au cas où des enfants nous écouteraient ».
Et justement, des retours de leurs auditeurs, ils en ont eus ? « Oui, il y a quelques jours des mecs de Syrie nous ont reconnus Tariq et moi au Greek Forum of Refugees (une association qui met en relation différentes communautés de réfugiés présents en Grèce et leur apporte son soutien) et ils sont venus nous féliciter. À part quelques commentaires un peu racistes sur Twitter, on a généralement des échos super positifs, du coup ça nous motive et nous pousse à aller encore plus loin ». Prochaine étape ? « Avec Ahmed en Espagne, un ancien membre de l’équipe, George, à Chypre et Tariq peut-être un jour en Hollande, il y a un réel potentiel futur pour fédérer une vraie communauté européenne autour de Shabab Radio ». En attendant, il est samedi soir et l’heure pour Stéphanie, Tariq et Giannis de débuter leur soirée. Une belle image du vivre ensemble.
Photos: © Nina.S
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