Göteborg, un dimanche matin. Je suis installée dans le train qui m’emmènera d’ici peu à Stockholm. À côté de moi, une suédoise d’une cinquantaine d’années qui, voyant que je ne parle pas la langue, engage la conversation en anglais. Je lui explique que je viens de terminer un voyage de huit semaines sur les routes d’Italie, de Grèce, d’Allemagne et de Suède, avec l’objectif d’étudier la situation des réfugiés dans ces pays-là. « Et alors, quelles sont vos observations ? ». Une très bonne question à laquelle j’ai tenté de répondre, à chaud.
Un voyage en deux parties
Comme je m’y attendais avant de partir, les quatre premières semaines ont été très différentes des quatre dernières. Pour rappel, j’ai débuté par la Grèce et l’Italie, principales portes d’entrée des réfugiés et migrants en Europe. Une première étape émotionnellement très difficile. En effet, avec l’accord Bruxelles-Ankara et la fermeture de la route des Balkans, beaucoup des personnes que j’ai pu rencontrer se sont retrouvées « piégées » dans ces deux pays qui n’étaient pas leur objectif de départ et desquels elles espèrent pouvoir « s’échapper » rapidement afin de rejoindre, pour nombre d’entre elles, des membres de leur famille qui se trouvent déjà en Allemagne ou en Suède. Quitte à faire appel une nouvelle fois à des passeurs.
Du port du Pirée au squat du City Plaza, une constante : l’attente et l’angoisse du lendemain. « Tu crois qu’on a une chance d’obtenir l’asile ? », je me rappelle encore de cette question posée par Emal, un jeune afghan rencontré à Athènes, physiquement et nerveusement épuisé. Et je me rappelle avoir été incapable de lui répondre quelque chose qui ne sonne pas creux. Comment lui dire qu’en tant que jeune homme afghan sans famille en Europe, il n’a que très peu de chance d’obtenir l’asile en Grèce et risque donc d’être déporté en Afghanistan ? Que les administrations grecques comme italiennes, sont complètement débordées et que c’est pour cela que les procédures administratives prennent des mois ? Pas parce qu’on l’a oublié. Je me suis retrouvée tellement de fois face à ces visages ravagés par la tristesse et l’anxiété, complètement impuissante. Emal, Abdulla, Darina, Cédric, Awa, Maria, Samir et les autres ; je repense d’ailleurs à eux et me demande s’ils vont bien et si leur situation a évolué.
Objectif numéro un : l’intégration
Et puis la deuxième étape, plus positive, et les quatre dernières semaines en Suède et en Allemagne. Ces « terres promises » où l’objectif numéro un est l’intégration. La plupart des réfugiés dont j’ai fait la connaissance rejette d’ailleurs cette étiquette qui leur colle à la peau et qu’ils trouvent réducteur. À l’image de Bassam, un jeune syrien rencontré à Berlin dont le rêve est de devenir réalisateur « J’en ai un peu marre de l’image qu’on donne de nous dans les médias. Ils montrent toujours notre faiblesse, jamais notre force. Des ressources et du talent, on en a !». Et il n’est pas le seul. Walida, Yara, Abdulla, Moder ou Safi ; ces jeunes exilés ont appris l’allemand, trouvé un appartement, et commencé une formation ou un emploi.
Les afghans ont quant à eux davantage de difficultés à obtenir l’asile car leur pays n’a pas le même statut que la Syrie par exemple. L’année 2015 a d’ailleurs été une année record pour la Suède en terme de demandes de la part de réfugiés mineurs non accompagnés, dont 91% sont des garçons et plus de la moitié originaires d’Afghanistan. La plupart des jeunes garçons que j’ai rencontrés entre Malmö et Göteborg sont donc dans l’expectative et vivent, pour la grande majorité, dans des centres d’accueil. Alors en attendant, ils vont à l’école pour apprendre le suédois et se concentrent sur quelque chose de positif, comme le sport. C’est par exemple le cas de Basir Ahmad et Mohammed Ghazmi, deux jeunes afghans de dix-sept ans pour qui la boxe est une passion mais également une façon d’intégrer les codes d’un pays qu’ils espèrent bientôt pouvoir appeler le leur.
Les volontaires
En relisant mes articles, je me suis rendue compte que je n’avais pas beaucoup parlé des volontaires rencontrés et c’est dommage car le travail qu’ils font est admirable. Je repense notamment aux deux premières semaines passées en Grèce. Malgré une santé économique plus que fragile, je me rappelle avoir été impressionnée du niveau d’implication de beaucoup de ses habitants. Lina, responsable communication du squat du City Plaza à Athènes, qui accueille environ 400 réfugiés, me l’avait d’ailleurs bien expliqué : « Avec la terrible crise économique qui a frappé notre pays, beaucoup de grecs ont fait preuve d’une grande solidarité les uns envers les autres. Ça nous paraît donc normal de faire pareil avec ces réfugiés et migrants qui arrivent dans notre pays, complètement démunis ».
J’ai également fait la connaissance de beaucoup de volontaires internationaux, présents en Grèce et en Italie pendant leurs vacances. Comme l’équipe de suisses rencontrés chez Caritas à Catane par exemple, pour qui venir donner un coup de main sur le terrain, et durant leur temps libre, semblait être une évidence. Tous ces bénévoles ont en commun de se dévouer corps et âme à l’accueil et la prise en charge de ces nouveaux venus en Europe, certains endossant même parfois le rôle de parents de substitution pour les jeunes mineurs non accompagnés., comme Makis, Vivi, Matilda, Johanna ou Bart, qui, par l’éducation et le sport, leur apportent le cadre, l’écoute et le soutien dont ils ont besoin.
Et puis il y a ceux qui décident de s’attaquer à l’intégration de façon créative. Les allemands de Über den Tellerand et de Kitchen on the go sont par exemple convaincus que la cuisine est un excellent moyen de partage et d’échange interculturel. Les rencontres culinaires entre locaux et réfugiés qu’ils ont organisées, à Berlin et en Europe, ont d’ailleurs remporté un franc succès.
Alfio (gauche), volontaire au sein de Caritas à Catane
Moder(gauche), réfugié syrien, et Rafael, l’un des fondateurs de Über den Tellerand
Le bilan
Ces deux mois passés sur les routes d’Europe ont été, émotionnellement parlant, très intenses. J’ai véritablement été touchée non seulement par les histoires de chacune des personnes rencontrées, mais également par la façon dont ils se battent pour pouvoir commencer une nouvelle vie, à l’abri de toute violence.
« Comment va-t-on réussir à tous les insérer sur le marché du travail ? Au niveau des logements, comment est-ce qu’on va faire ? Et puis qui va payer pour tout ça ? Beaucoup de personnes avec qui j’ai pu discuter, en Suisse ou dans les pays de mon périple, ont exprimé une certaine inquiétude. Il est certain que l’intégration de centaine de milliers de personnes représente un défi majeur pour les pays concernés. Et il est tout à fait compréhensible qu’il y ait des appréhensions, voire carrément une peur pour certains. Je n’ai bien entendu pas la réponse à de telles questions mais il y a cependant deux choses dont je suis convaincue à l’issue de ces huit semaines d’observation.
La première est qu’en leur apportant le soutien dont ils ont besoin et les outils nécessaires, la très grande majorité d’entre eux réussit à s’intégrer avec succès, comme en Allemagne par exemple. Je suis également persuadée qu’il est capital de faire en sorte que les réfugiés ne soient pas isolés dans leur nouvelle patrie d’accueil. Il me paraît en effet essentiel qu’ils puissent rapidement rencontrer la population locale, lors d’activités par exemple, pour permettre ainsi « aux deux côtés » de s’apprivoiser, d’apprendre à vivre ensemble et de se rendre compte qu’au final, on n’est pas si différents.
Farzane, Katleen, Christiane, Sarah, Moi, Fatima
Photos: © Nina.S